Cette œuvre, longtemps attribuée à Vincent de Beauvais, a été réalisée, en fait, dans le premier quart du
XIVème siècle par Ludulphe le Chartreux ou le Saxon à Strasbourg. Elle a rédigée en prose rimée, comprend 42
chapitres principaux et 3 chapitres complémentaires.
Chaque chapitre décrit un épisode de la Genèse, puis de la vie de la Vierge et du Christ et chaque chapitre se
complète de 3 autres sous-chapitres reliés par association d’idées (plus ou moins typologiques): chaque sous-
chapitre est illustré par une miniature, parfois élaborée parfois schématique. On trouve donc plus de 180
miniatures dans chaque exemplaire ce qui en fait un livre à images.
Comme cette œuvre a été largement diffusée d’abord en latin, puis en français grâce à une traduction par Jean
Miélot (à la demande du duc de Bourgogne, Philippe III en 1448), sous la forme de manuscrits, puis d’incunables
il était habituel pour un monastère d’en posséder un exemplaire.
On en trouve encore de nombreux exemplaires, en latin ou en langue vernaculaire, dans les bibliothèques.
Dans le Speculum Humanae Salvationis
La majorité des historiens d’art pensent que les gravures ont inspiré des artistes dans de multiples domaines et
notamment dans celui du vitrail.
C’est ce qui nous a conduit à sa découverte mais c’est aussi un ouvrage orienté vers le culte marial et il nous
intéresse d’autant plus.
Nous nous sommes intéressé au manuscrit de la Bibliothèque nationale de France de 1485, probablement
illustrée par le maître d’Edward IV à Bruges parce que l’Aube se situe dans le triangle «Bourgogne-Bruges-
Paris» et que cet exemplaire est proche de la date de la réalisation des vitraux qui nous intéressent dans le
premier quart du XVIème siècle.
Nous allons suivre la lecture du Speculum Humanae Salvationis en sélectionnant les chapitres et les
miniatures qui confirment ou interrogent l’inspiration des vitraux.
Le début de la Genèse (Création d’Adam et d’Ève, Admonition divine, La Faute et la Malédiction) trouverait
bien sa source dans notre ouvrage
Ensuite, alors que l’on s’attendrait à trouver la scène de l’Annonciation (du Christ), on passe à l’annonce faite
par un ange, soit à Joachim, soit à sainte Anne de la venue d’une enfant, la future Marie.
Notons que la figuration de la scène de la Rencontre à la Porte dorée est exceptionnelle. Ludulphe le Saxon
montrait que la Vierge Marie avait de l’importance pour lui mais comme il était dominicain il n’allait pas s’arrêter
aux éventuelles particularités de la Conception de Marie puisqu’il était maculiste. Nous y reviendrons
Dans le même chapitre, «Le jardin clos tout alentour et la fontaine préfigurent Marie» et «Balaam prophétisa la
naissance de Marie par une étoile» annoncent les Litanies
Dans le chapitre IV, consacré à la Naissance de la Vierge, on trouve la vision d’Ézéchiel qui voit une porte que
Dieu exigeait close parce qu’il y était passé et la Vierge pouvait ouvrir à nouveau cette porte puisqu’elle livrait le
passage à un Enfant-Dieu.
On trouve aussi «Le temple que le Roi Salomon fit ériger préfigure la Vierge Marie».
Dans le chapitre IV, consacré au mariage de la Vierge, «La tour de Baris préfigure la Vierge» et «La tour de
David d’où pendaient mille écussons préfigure la Vierge Marie» continuent les Litanies
Les chapitres XI à XXV sont consacrés à la Vie du Christ
La Déposition et la Mise au Tombeau se font sous les pleurs de la Vierge
Le chapitre XXX prolonge et accentue l’importance de la Vierge Marie puisqu’il y est dit qu’elle a vaincu l’ennemi
d’enfer, le Diable ou le Serpent, par sa compassion avec le Christ dans toutes les étapes de son sacrifice.
Dans notre version, la Vierge devient donc un co-rédemptrice puisque la référence au Christ est présente avec
l’Enfant dans ses bras.
Dans la majorité des cas, cette référence au Fils consiste dans la présence des Instruments de la Passion ou
bien la Croix.
Nous n’avons trouvé qu’une occurrence, donc l’exception, où le Christ n’apparaît pas d’une façon ou d’une
autre.
Après la Pentecôte (Chapitre XXXIV), la Vierge traverse, avec nostalgie, les lieux où elle a vécu avec son Fils
(chapitre XXXV)
Dans le chapitre XXXVI, on trouve l’Assomption et une représentation de la femme vêtue de soleil (Mulier
amicta sole) issue de l’Apocalypse de Jean.
Nous en présentons deux variantes.
Le texte canonique parle d’une femme enceinte saisie par les douleurs de l’enfantement à qui un ange va
donner des ailes afin qu’elle puisse se sauver dans le désert et échapper au dragon.
Dans le chapitre XXXVII, la Vierge Marie apaise la colère de Jésus-Christ en lui présentant saint Dominique et
saint François.
Dans le chapitre XXXVIII, «La Vierge Marie est notre défenderesse à l’encontre de notre ennemi d’enfer et nous
défend de la vengeance de Dieu».
Une des figurations en est le manteau de Marie qui protège les croyants ou les pécheurs (ou Vierge de
Miséricorde).
Et la Vierge Marie persévère dans son action de tempérer la colère divine puisque, pour apaiser son Fils, elle lui
montre les seins qui l’ont nourri (Chapitre XXXIX).
Le propos serait attribué à saint Bernard (dans le droit fil de la lactation) mais il émanerait plutôt d’Arnaud de
Chartres, abbé de Bonneval, au XIIème siècle.
Enfin, le chapitre XLIV rappelle les 7 douleurs de la Vierge
La lecture du Speculum Humanae Salvationis sous l’angle marial met à jour la fonction de co-rédemprice de la
Vierge avec des interventions directes sur les actions possibles de son Fils dans le sens de la compassion et de la
miséricorde. C’est une Vierge sympathique et maternelle à l’égard de son grand Fils, et par extension à l’égard de
l’humanité.
Mais ses vertus ne s’exercent que dans la référence à son Fils.
La question est de savoir ce qui a permis de représenter la Vierge comme Rédemptrice sans la présence du Fils et
de lui donner un rôle si important dans le Royaume des Cieux.
Entre le début du XIVème siècle et la réalisation des vitraux s’est produite la controverse autour de l’Immaculée
Conception et il est nécessaire d’examiner ses effets dans l’iconographie aussi.