Pour les vitraux aubois, possiblement « mariaux », nous retiendrons 3 éléments, le premier négatif, l’absence de
référence au Christ, et deux positifs, la Vierge qui écrase le serpent et la Vierge clavigère.
1° L’église de Chesssy-les-Prés est, dans son ensemble, très orientée vers le culte marial.
La baie 4 de Ceffonds ne comprend pas d’autre référence au Christ sinon, peut-être, la couronne de la Vierge
(apposée habituellement lors du couronnement par la sainte Trinité ?).
Sur la baie 8 de Chavanges, on trouve la même Vierge couronnée, l’Annonciation (mais dans le culte marial, le mot
« Ave » de l’Annonciation est opposé à Eva) et indiscutablement le monogramme du Christ.
Le registre inférieur la baie 1 de Saint-Parres-aux-Tertres manque mais sur les vitraux existants, le Christ est absent
tout comme sur la baie 3 de Maizières-lès-Brienne selon les photos de Paul Biver
Le problème est le même à Javernant et à Saint-Germain: le vitrail ne nous est arrivé dans son intégralité.
2° La Vierge qui écrase le serpent peut être interprétée comme Immaculée Conception dans toutes les églises
mariales qui en disposent parce qu’elle figure la Vierge sans l’Enfant Jésus et parce qu’elle est nimbée de soleil.
L’absence de nimbe peut faire émettre un doute sur la Vierge de Maizières.
Les lectures possibles des vitraux mariaux aubois
Dans le Paradis, se trouve un autre personnage tiaré comme un pape, entouré ou non d’anges et qui porte dans sa
main le globe terrestre. Ce pourrait être saint Pierre mais ce personnage représente, en général, Dieu le Père sur les
autres scènes de la Création.
Enfin, la Vierge Marie tient dans sa main gauche une clef.
A cette place, l’iconographie habituelle et populaire a coutume de placer saint Pierre mais les 2 papes, successeurs
de saint Pierre (à qui le Christ a donné les clefs avec le pouvoir de lier et de délier) se trouvent l’un sur terre et
l’autre au Paradis (même s’il représente Dieu le Père).
La Vierge Marie est la représentante de l’Église (elle est la mère des chrétiens) mais la possession de la clef lui
donne-t-elle le pouvoir sur Rome?
Dans les chants royaux du Puy Notre-Dame d’Amiens on trouve un texte de Jean Cousin, procureur, avec des
illustrations de Jean Pichore (Bibliothèque nationale de France): ce manuscrit date de 1518 à 1526 et reproduit les
poésies présentées en public sur une estrade (le Puy) en l’honneur de la Conception de la Vierge Marie.
Ici, le phylactère porte l’inscription «Clavigère du Royaume des Cieux» et l’Enfant Jésus tient une grosse clef noire
dans sa main avec l’aide de sa mère. Il apparaît légitime de penser que l’indulgence de Marie est sollicitée.
Dans le Jugement dernier de Jean Provost de 1525 à Liège, la Vierge intercède à genou à côté de la Porte de
Gloire en montrant ses seins: elle reste dans la veine du chapitre XXXIX du Speculum Huamanae Salvationis et
elle se trouve devant saint Pierre qui désigne du doigt sa clef devenue de moindre intérêt avec la préséance
mariale.
Cependant, le mouvement qui l’a suscité a eu des conséquences qu’explique Marianna Lora que je cite :
« À partir de 1572, une bulle papale met définitivement fin à la question : selon la bulle de Pie V sur le Rosaire, la
Vierge ne peut plus être représentée en train d’écraser seule le serpent, mais elle se devra d’être accompagnée
par Jésus, car « la Vierge a écrasé la tête du serpent avec l’aide de l’Enfant ».
La controverse sur le passage de la traduction de la Bible, «ipse ou ipsa conteret caput tuum» est ainsi résolue.
Jean de Carthagène, théologien de la fin du XVIe siècle, confirme qu’« il y a une lutte engagée entre la femme et
le serpent, mais elle en triomphe par son Fils »
….
Les peintres et les conseillers iconographiques deviennent plus prudents et le type iconographique de la Vierge
Immaculée Nouvelle Ève commence à présenter de plus en plus d’allusions au Fils, puis disparaît vers la fin du
siècle, pour laisser la place à une image plus synthétique et plus poétique, celle de la Virgo amicta sole, la Vierge
Immaculée comme Femme apocalyptique, qui s’imposera alors définitivement. »
Marianna Lora nous a fait découvrir un tableau exceptionnel et probablement extrême qui montre une
Immaculée Conception à ce point rédemptrice qu’elle descend aux limbes et rachète le Péché originel: ce
tableau est unique et représente une limite .
Il a été peint par Giorgio Vasari en 1541 et se trouve à Florence (Santi Apostoli): il ne servit pas de
modèle.
Il existe, cependant, des exceptions comme les tableaux de Giambattista Tiepolo ou de Francisco de Zurbarán
Dès lors, deux lectures apparaissent possibles:
-
L’une dans la veine compassionnelle (ou miséricordieuse) montrerait une Vierge dont le pouvoir a été majoré
selon le vœu des pécheurs à leur heure dernière et qui pourrait remplacer saint Pierre trop sévère à l’entrée du
Paradis
-
L’autre est plus théologique et serait une concrétisation de la crainte des dominicains.
En tant qu’Immaculée Conception, la Vierge deviendrait une co-rédemptrice, voire une rédemptrice à part entière
puisqu’elle n’aurait plus à passer par le Christ pour obtenir la Rédemption et l’effacement du Péché originel.
Bien sûr, nous ne disposons pas de textes pour accréditer l’une ou l’autre hypothèse mais les images d’autres artistes
peuvent apporter du crédit à l’une ou l’autre lecture.
3° Enfin la Vierge clavigère interroge, à Ceffonds et à Chavanges. Le peuple des élus est représenté par des
personnages importants, rois, empereur, moine et un pape.
Enfin, la Vierge accueillant les élus à la porte du Ciel apparait sur une gravure de Jacques Callot dans son
ouvrage consacré à la Vie des saints et des saintes (aux environs de 1630).
Mais l’histoire connaît une suite…