Les figurations d’Abraham sur les vitraux en France
Mes vitraux favoris
Après avoir assité à un cours de Sonia Fellous à l’Institut Rachi de Troyes et avoir lu son
article sur Abraham m’est venue la question « Quelles sont les figurations d’Abraham sur
les vitraux français » ?
J’ai donc constitué un inventaire à partir des index des livres du Corpus Vitrearum sur les
vitraux français à partir du nom d’Abraham. On trouve ainsi tous les vitraux anciens
(avant 1700 environ) mais la collection des vitraux à partir de cette date s’est faite au gré
des goûts et des voyages.
Comme les vitraux sont triés par date de réalisation, je ne suivrai pas la chronologie du
récit biblique mais je décrirai les différentes figurations d’Abraham en fonction de leur
émergence sur les vitraux en commençant par le sacrifice d’Isaac qui est, à la fois, le plus
représenté et le premier en date.
Il se situe à Châlons-en-Champagne à la cathédrale Saint-Étienne dans la salle du trésor.
Le sacrifice d’Isaac y apparaît à coté de la Crucifixion et du serpent d’airain et date de
1138.
(Ce vitrail qui doit être le plus ancien de Champagne-Ardenne n’est pas visible au public
en ce mois de mars 2025)
Il s’agit d’un vitrail d’inspiration mosane (Autel portatif de Stavelot) qui a été étudié par
Louis Grodecki et sur le plan épigraphique par Robert Favreau (qui estime que le vitrail
s’inspire de Rupert de Deutz)
On y voit donc l’intervention divine (symbolisée par une main) qui empêche l’épée
d’Abraham de s’abattre sur Isaac.
C’est un vitrail typologique; l’association avec le Nouveau Testament se trouve chez
Tertulien « En premier Isaac, lorsque, livré par son père en sacrifice, il porte lui-même
le bois qui lui est destiné, signifie la mort du Christ, concédé par le Père et portant le
bois de sa passion»
On trouve le transport du bois du sacrifice sur la baie 105 de la cathédrale Saint-Pierre
de Poitiers en 1190:
Sur d’autres vitraux, Isaac porte directement les fagots de bois (Baie 37 de la
cathédrale Notre-Dame de Chartres en 1205) ou bien même une croix verte (Baie 3 de
la Nouvelle-Alliance à la cathédrale Saint-Étienne de Bourges de 1210).
Le thème du transport (du bois) sera largement diffusé par Ludulphe le Saxon (1er
quart du XIVème siècle) dans son Speculum Humanis Salvationis dans son chapitre 43
où il associe le «Portement de Croix , Isaac et son fagot, le fils héritier de la vigne jeté
dehors et mis à mort et, enfin, les porteurs de la vigne de Canaan» (également
présents sur le vitrail de Châlons-en-Champagne).
Pour revenir à notre chronologie, on trouve sur la baie 208 de la basilique Saint-Remi
de Reims en 1185 Abraham avec un un sabre au-dessus de l’évêque Hincmar: le père
du monothéisme au-dessus du « père » de la cathédrale de Reims.
Cliquer sur les images pour les agrandir ou les rétrécir
La rencontre d’Abraham et des trois anges apparaît à Poitiers sur la baie 105 de
1190 (consacrée à Abraham, Isaac et Loth) de la cathédrale Saint-Pierre.
Cet épisode est particulièrement riche et rend compte de l’hospitalité d’Abraham.
Le chiffre de «trois» invite à y voir la Trinité (selon saint Augustin)
Le veau, quant à lui, est tué dans l’église Saint-Étienne-du-Mont en 1
615 (Baie 13)
L’annonce de la grossesse de Sarah (tardive) accompagnée d’un rire préfigure le
vitrail de 1270 (provenant probablement de l’église des Dominicains de Strasbourg et
visible au musée de l’Oeuvre-Notre-Dame de la même ville) et donc de la naissance
d’Isaac pourrait évoquer l’Annonciation.
La rencontre avec les trois anges se poursuit à Auxerre mais, auparavant, on trouve à
Poitiers l’histoire d’Abimélek avec trois médaillons :
Enlèvement de Sarah par Abimélek
Abimélek rend Sarah à Abraham et offre des pièces d’or à Abraham
Abimélek donne des troupeaux et des serviteurs à Abraham
Toujours à Poitiers, on trouve l’ensevelissement d’Abraham par Isaac et Ismaël.
Il s’agit d’un vitrail moderne (caché par une rambarde sur une baie dont l’origine se
situe en 1190).
La même scène est figurée en 1850 sur la baie 13 de la Sainte-Chapelle de Paris dont
l’origine est en 1242.
Plusieurs baies de la cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre complètent les
épisodes vus précédemment.
Dans le cadre du sacrifice d’Isaac, la baie 113 de 1190 (restaurée) montre bien
le bélier désigné par l’ange pour être sacrifié: pris dans un buisson d’épines, il
préfigure (selon saint Augustin) le Couronnement d’épines.
La baie 14 de l’église Saint-Patrice de Rouen (hélas, non accessible au public
pour cause de menace d’effondrement) montre la mise à mort du bouc dont
l’holocauste évoque le Saint-Esprit selon Rupert de Deutz.
La scène est également reproduite sur la baie 8 de la cathédrale Saint-Étienne
de Toul (1240), peu accessible.
Enfin, la baie 121 de la basilique Saint-Nicolas à Saint-Nicolas de Port
représente Abraham qui sacrifie un animal en holocauste (1875).
Dans la chrétienté (et avec saint Augustin ) s’est posée la question du « Seigneur » de
la rencontre avec les trois anges et de la formule « Tres vidit et unum adoravit »
mais il n’a pas été retenu qu’il s’agissait du Christ.
La question est mentionnée sur un vitrail de la basilique Notre-Dame-de-la-Trinité de
Blois en 1938
A Auxerre aussi, en lien avec la visite des trois anges, deux médaillons de la baie 19
réalisée en 1225 s’intitulent :
Les anges annoncent à Abraham la destruction de Sodome et Gomorrhe
Abraham intercède pour les villes condamnées
La Sainte-Chapelle de Paris (1242) apporte bien des épisodes avec sa baie 13 (La
Genèse) et nous ne suivrons pas tout à fait l’ordre des médaillons.
D’abord la rencontre d’Abraham et de Melchisédech:
Qui est Melchisedech ?
Il apparaît déjà sans Abraham sur un vitrail de la cathédrale Notre-Dame de Chartres,
précisément sous la rose nord au-dessus de Nabuchodonosor qui adore les idoles.
Il tient du vin et du pain dans ses mains.
On le voit aussi en 1210 sur un vitrail de la Primatiale Saint-Jean-Baptiste de Lyon
tenant vin et pain dans ses mains, là aussi.
Pierre le Mangeur rapporte que les « Hébreux » disent qu’en fait il s’agit de Sem, un
des trois fils de Noé et, en effet, Rachi écrit qu’il s’agit bien du fils de Noé mais qu’il
offre le pain et le vin en signe de paix et de réconciliation puisque Abraham vient de
tuer quelques-uns de ses enfants.
Pour Ludulfe le Saxon (et d’autres avant lui) la suite typologique, dans le chapitre 16
du Speculum Humanis Salvationis, est la suivante: «La Cène, la chute de la manne
céleste, l’agneau pascal et les offrandes de Melchisédech».
La prière eucharistique de la messe catholique rappelle ce don.
Puis viennent quatre médaillons qui ont trait à la promesse divine et à l’alliance:
La promesse de dieu à Abraham
Abraham élève un autel
Abraham est vainqueur des Élamites
Scène de double circoncision
Puis,sont figurées les relations entre Abraham, Sarah (et Isaac) et Agar (et Ismaël) :
Sara présente Isaac nouveau-né à Abraham
Agar chassée par Abraham
Agar dans le désert, visitée par un ange
La mort de Sarah survient après le sacrifice d’Isaac. Un midrash rapporte que Satan,
avec sa perfidie, est allé voir Sarah pour lui dire qu’Abraham était en train de tuer
Isaac (le sacrifier) et que Sarah était morte de chagrin et un autre midrash rapporte
qu’après cette annonce, elle ne serait pas morte de chagrin mais qu’elle serait partie
pour chercher partout son fils et qu’elle serait morte de joie en le voyant indemne.
La mort de Sarah, l’achat du champ d’Ephron et Abraham mandate Éliézer
Achat du champ d’Ephron
Abraham envoie Éliézer en quête d’une femme pour Isaac
Avec la construction de la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Troyes a été mis
en place, au début du XIIIème siècle, un vitrail très peu visible (sur le triforium
derrière une colonne) sur la baie 112 (mais originellement sur la baie 109) intitulé
«Le sein d’Abraham»
Cette référence n’existe que dans le nouveau testament à propos de Lazare et du
mauvais riche (Évangile de Luc, chap 16.19-31) et il représente une récompense
dans l’au-delà : son origine se trouve dans le milieu juif du Second Temple.
Retournons dans la chronologie :
En 1290, l’immense baie 100 est mise en place à Dol-de-Bretagne dans la
cathédrale Saint-Samson: la deuxième lancette à partir de la gauche est consacrée
à Abraham (l’édifice abrite une relique du chêne de Mambré) et à côté de scènes
déjà mentionnées ci-desus, on trouve:
« Abraham prie devant une ville, avec un ange et la main divine»
En 1516, à Sens, dans la cathédrale Saint-Étienne sur la baie 121, se situent,
notamment, 4 médaillons consacrés à Abraham:
Abraham secourt Loth attaqué par 4 rois voisins
Abraham délivre Loth prisonnier
Un ange annonce à Abraham que sa progéniture sera aussi nombreuse que
les étoiles
Vocation d'Abraham
Enfin, il y a lieu de parler de l’Arbre de Jessé.
Le nom de Jessé n’apparaît qu’une fois dans l’Ancien Testament chez Isaïe (IS11,1).
« Puis un rameau sortira du tronc de Jessé et un rejeton naîtra de ses racines ».
Les chanoines et les artistes ont complété cette courte phrase avec la généalogie du
Christ dans les évangiles de saint Matthieu et de saint Luc dans leur « Généalogie de
Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham »
L’arbre de Jessé est représenté de façon innombrable et assez spectaculaire sur les
vitraux en particulier au XVIème siècle mais y figurent, en général, des rois avec
surtout David (et sa lyre) et Salomon.
Comme tous les vitraux ne comportent pas des phylactères (lisibles), il est possible
qu’Abraham y apparaisse sans être reconnu.
Mais, surtout, la lecture des évangiles (par un théologien, merci à lui!) révèle que
Jessé (Isaï dans la Bible de Louis Segond) est un lointain descendant d’Abraham (et
d’Isaac) et donc Abraham n’a pas sa place sur un arbre de Jessé.
Cependant, j’ai trouvé un vitrail (splendide arbre de Jessé) de 1518 situé à Troyes
dans l’église Sainte-Marie-Madeleine sur la baie 2 avec les deux protagonistes du
sacrifice d’Isaac.
Bien sûr, il existe beaucoup d’autres occurrences des épisodes dont j’ai décrit
l’émergence et qui, à eux seuls, sont des illustrations de l’évolution de l’art du vitrail :
on les retrouvera dans l’inventaire.
On pourra aussi noter que les vitraux sont presque tous en pleine couleur hormis celui
d’Évreux qui est en grisaille-jaune d’argent.
Il aurait aussi été possible de rechercher les épisodes de la vie d’Abraham qui n’ont pas
été illustrés par des vitraux.
Je pense, ici, à l’épreuve du feu qui n’apparaît pas dans la Bible mais qui est cité dans le
Coran et aussi par Ludulphe le Saxon qui, dans le chapitre 31 de son Speculum Humanis
Salvationis, établit un lien typologique centré sur la « libération » avec « Jésus-Christ
descendit aux limbes libérer les saints patriarches et prophètes – Les enfants d’Israël que
Pharaon persécutait furent libérés d’Égypte – Notre Seigeur délivra Abraham du feu que
les Chaldéens avaient pour dieu - Notre Seigneur libéra Loth et sa femme de la
subversion de Sodome et Gomorrhe »
A suivre...
Denis Krieger le 26 mars 2025
NB: Bien des photos mériteraient d’être de meilleure qualité. Elles représenteront une
opportunité de nouveaux voyages.