Lilith
Une hypothèse qui connaît une certaine audience, serait de voir Lilith, « la première femme d’Adam » dans ce
personnage de tentatrice ailée qui peut surgir d’une ambiguïté dans le texte biblique de la Genèse.
La création d’Ève dans la Bible
Une première occurrence se trouve dans Génèse 1-26 où « Dieu dit : “Faisons l’homme à notre image, selon
notre ressemblance et qu’il soumette les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre et
toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre !". Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa;
mâle et femelle il les créa. ».
Cette version est mise en avant dans la tradition rabbinique pour avancer que Dieu a créé un humain
hermaphrodite.
C’est la lecture de Rachi et cela évoque le récit du Banquet de Platon.
Le Coran, dans la sourate 20, rend aussi cette lecture possible.
Les figurations de cet hermaphrodisme sont rares:
L’Islam déconseille la représentation et, dans la religion juive, la deuxième parole du Décalogue proscrit la
réalisation de figures humaines en relief ce qui a abouti, ensuite, à empêcher la représentation d’êtres animés de
souffle de façon générale.
Ce n’est qu’au XXème siècle (à ma connaissance) que Marc Chagall fait apparaître un être hermaphrodite
dans son hommage à Apollinaire en 1911.
La deuxième occurrence est dans Genèse 2–21 « Le Seigneur Dieu fit tomber dans une torpeur l’homme qui s’en-
dormit ; il prit une de ses côtes et referma les chairs à sa place.
Le Seigneur Dieu transforma la côte qu’il avait prise à l’homme en une femme qu’il lui amena.
L’homme s’écria : “Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair, celle-ci, on l’appellera femme car c’est de
l’homme qu’elle a été prise." Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils
deviennent une seule chair.»
Il s’agit de la lecture habituelle dans la religion chrétienne.
Beaucoup d’églises auboises comportent un vitrail avec la création d’Ève: ci-dessous celle de La Madeleine à
Troyes
Il existe une troisième version qui articule les 2 occurrences précédentes pour affirmer qu’Adam a connu une
première femme (qui aurait été escamotée du texte biblique) avant la création de la deuxième femme, Ève.
Elle apparaît dans l’Alphabet de Ben Sira.
Ce texte juif, situé au 1er siècle de l’ère commune, est un texte médiéval rédigé entre le VIIème et le Xème siècle de
l’ère commune.
Il énonce que Dieu a créé, selon Genèse 1-26, un homme, Adam, et une femme, non nommée mais en fait Lilith.
Comme ils se considéraient comme l’égal l’un de l’autre parce qu’issus de la même terre, ils se chamaillaient tout le
temps et notamment lors du rapport sexuel où chacun voulait être au-dessus, loin de la terre.
Lilith a fini par se révolter et a fui.
Adam s’est plaint, selon ce qui deviendra une habitude, à Dieu de la femme que Celui-ci lui avait donnée.
Lilith s’est envolée et, ultime sacrilège, a dit le nom de Dieu. Dieu a dépêché 3 anges pour la faire revenir, sans
résultat.
Elle a été condamnée à enfanter de façon répétée et à voir mourir tous ses enfants.
On l’accuse d’être à l’origine des morts subites du nourrisson: les amulettes avec le nom des 3 anges sont censées
protéger de ce malheur.
Un enfant qui sourit aux anges dans son sommeil serait l’objet d’une visite de Lilith.
Lilith est aussi une grande séductrice des hommes solitaires et elle s’emparerait de tout sperme tombé sur
le sol pour se féconder.
On la dit mariée à Satan.
Lilith n’apparaît qu’une fois dans la Bible juive, dans le livre d’Isaïe: dans la prophétie sur la fin du royaume d’Édom,
celui-ci est décrit comme une terre désolée, habitée par les animaux et Lilith.
Dans la Vulgate, Lilith est traduite par le nom de Lamia qui est un démon de la mythologie grecque. Les lamias
seront craintes tout au long du Moyen-âge.
En fait, Lilith trouve son origine dans une déesse babylonienne, Lilitu représentée avec des ailes sur la plaque
Burney au British Museum.
Lilith a connu un regain d’intérêt au XIXème siècle: on voit ici Lady Lilith peinte par le peintre pré-raphaélite
Dante Gabriel Rossetti.
Lilith circule dans les traditions populaires juives et, en tant que démone, elle est l’agent qui fait accepter l’inacceptable
pour un être humain à savoir la mort d’un nourrisson: elle est la mauvaise qui préserve l’idée d’un Dieu intrinsèquement
bon.
On notera qu’elle n’est pas si mauvaise puisqu’elle offre le moyen de se protéger de ses méfaits grâce à des procédés
ou des amulettes apotropaïques.
Certains associent la fonction de Lilith (qui en veut à Adam mais non à Dieu) à celle de Satan dans le livre de Job: elle
est l’envoyée de Dieu sur terre destinée à vérifier par la tentation sexuelle que les hommes, mâles, sont suffisamment
intègres pour résister à la dite tentation.
Dans certaines traditions hébraïques, il est dit que le Messie viendra lorsque Lilith ne réussira plus à séduire les
hommes.
Lilith est devenue l’archétype du mystère de la sexualité féminine.
Elle est encore plus effrayante qu’Ève et s’oppose trait pour trait à Marie puisqu’elle sollicite les hommes pour obtenir
sinon des rapports sexuels tout au moins de la semence masculine sans jamais préserver la vie d’un enfant.
Dans les traditions rabbiniques Lilith n’est pas plus reconnue que tous les autres actes de magie.
Il est assez peu probable que la tentatrice ailée de nos vitraux aubois soient des représentations directes de Lilith :
cependant, comme la famille de Rachi était implantée dans l’Aube (Troyes et région de Ramerupt) depuis de XIème
siècle, au moins, et jusqu’à l’expulsion des juifs au XIVème siècle, il est tout à fait possible que les représentations des
démons, surtout maléfiques, aient été partagées puis conservées sans même que l’on connaisse leur origine.