Comme beaucoup, je pensais que le serpent du Paradis terrestre ressemblait à nos serpents actuels.
J’ai donc été très étonné de découvrir sur les scènes de la Tentation des serpents à tête de femme puis avec de
multiples attributs physiques et vestimentaires féminins.
Une lecture de la Genèse me fit découvrir que le serpent était l’animal le plus rusé de la Création et la déduction
me fit penser qu’il devait se tenir érigé puisque sa malédiction consistait à ramper.
J’ai recherché, ensuite, dans mes sources iconographiques l’évolution de la représentation du serpent dans la
scène de la Tentation et en ai établi une modeste recension dans le document ci-joint; je rajoute le serpent ailé
de la Tentation de la baie 44 du «bon Samaritain» de la cathédrale Notre-Dame de Chartres du début du XIIIème
siècle.
La Tentatrice ailée
La scène de la Tentation
de la baie 44
«Le bon Samaritain»
à la
cathédrale Notre-Dame de Chartres
Ceci situe le personnage mais là n’est pas l’essentiel pour notre sujet: il a surtout rapporté la scène de la Tentation
dans les termes suivants :
« Le serpent était plus rusé que tous les autres animaux de la terre (GEN.III) et par nature et selon les circonstances,
selon les circonstances parce qu’il était habité par le démon.
Lucifer, en effet, chassé du paradis des esprits envia l’homme qui était au paradis des corps sachant que s’il faisait en
sorte qu’il transgresse l’interdit, lui aussi serait chassé du paradis.
Mais par crainte d’être pris sur le fait par l’homme il entreprit de pousser au vice la femme moins prudente et moins
sûre d’elle. Et cela se produisit à l’initiative du serpent, parce qu’alors le serpent se redressait comme l’homme (lui qui
fut prostré dans la malédiction et depuis lors dit-on) et le serpent avance dressé.
Par ailleurs il choisit une espèce de serpent, comme dit Bède le Vénérable, ayant l’apparence d’une jeune fille parce
qu’on est plus volontiers d’accord avec ce qui nous ressemble; et il se mit à parler son langage à l’insu [du serpent]
comme il parle à travers les fanatiques et les possédés et ce, malgré eux, et il dit : « Pourquoi Dieu vous recommande-
t-il de ne pas manger de tous les arbres du paradis à savoir que vous pouvez manger des arbres mais pas de tous ? »
Il a pour objectif que la réponse soit l’occasion de dire ce qu’il souhaite entendre.
Et c’est ce qui se produisit quand, en effet, hésitante la femme dit ; « Puissions-nous ne pas mourir parce que ne
sachant quel parti prendre l’on penche pour la facilité ».
Alors se montrant rassurant quant à l’interdiction il dit : «Vous ne mourrez pas, bien au contraire: en fait Dieu ne veut
pas que vous l’égaliez dans la connaissance, convaincu qu’il est que lorsque vous aurez mangé de l’arbre vous serez
comme des dieux, connaissant le bien et le mal ; c’est donc par jalousie qu’il vous a interdit l’accès à l’arbre.
Et emportée par l’orgueil, la femme, dans son désir d’être semblable à Dieu, eut confiance»
On constate un virage au XIIème siècle et, selon nous et d’autres auteurs, il se produisit avec la rédaction par Pierre
le Mangeur de son Historia scholastica: cet ouvrage a été largement diffusé tout au long du Moyen-Âge puisqu’il
servait aux prédicateurs ambulants.
Pierre le Mangeur (Petrus Comestor) est né à Troyes vers 1100 et est mort en 1179 à Saint-Victor; son nom lui vient
de son appétit pour les livres.
Il ne manquait pas d’humour puisqu’il a rédigé son épitaphe sous ces termes « J'étais Pierre que la pierre couvre dit
le mangeur, maintenant "mangé". Vivant j'ai enseigné et mort je ne cesse d'enseigner afin que ceux qui me voient
réduit en cendre disent: Ce que nous sommes, il le fut; un jour nous serons ce qu'il est ici. »
Lucifer prit donc l’apparence d’un serpent qui ressemblait à une femme pour suivre l’adage «Ce qui se ressemble
s’assemble » et il existait donc un serpent à tête de femme dans le Paradis selon Bède le Vénérable, un lettré anglo-
saxon qui a vécu à cheval sur le VIIème et le VIIIème siècle et qui, après vérification, n’a jamais dit rien de tel.
Lucifer est un ange déchu qui, après avoir apporté la lumière, s’enfonça dans les ténèbres. Vivant dans le ciel, il lui
fallait des ailes et il est compréhensible qu’il les portât encore lors de sa déstabilisation d’Ève.
A partir du moment où il est dit que le serpent ressemblait à une femme, il a été possible de lui donner toutes les
apparences que l’on a voulu pour mettre en avant tel ou tel trait féminin, avec ou sans misogynie, pourvu de rendre le
serpent hideux après sa malédiction.
L’idée d’un serpent à aspect féminin a circulé ensuite: Vincent de Beauvais le mentionne dans son Speculum naturale
et le propos a été repris par Ludulphe le Saxon (ou le Chartreux) dans son Speculum Humanae Salvationis (en latin)
et dans la traduction qu’en a faite Jean Miélot (Le Miroir de l’humaine Salvation).
Nous parlons de ces textes parce que nous les avons découverts à l’occasion de notre recherche iconographique sur
les tentatrices ailées: ce sont les 2 ouvrages qui comportent beaucoup de ces représentations même si elles ne sont
pas les seules; on pourra en trouver quelques exemples ci-dessous et beaucoup plus en suivant le lien vers la base de
données du Warburg Institute.
Nous allons décrire sur la page suivante le Speculum Humanae Salvationis mais allons nous autoriser une digression
sur le personnage de Lilith qui apparaît dans certains textes et qui a pu inspirer des images ou des fables.
Bologne 1320-1340
Wuppertal 1390
France 1450
Bruges 1485