Nous suivrons les descriptions que propose Maurice Vloberg dans son ouvrage « La Vierge, notre Médiatrice ». Il y a lieu de distinguer la porte fermée et la porte ouverte en notant d’emblée que les écrits sont plus riches (dans notre texte) que les images.
La Vierge, Porte du Ciel ou clavigère
Vers les vitraux aubois «mariaux» Vers les vitraux aubois «mariaux»
La première en exemple est la Vierge dite de Dom Rupert, un haut-relief du XIIème siècle visible au musée archéologique de Liège sur lequel l’on peut lire les paroles d’Ézéchiel déjà mentionnées dans le Spéculum Humanae Salvationis. Il s’agit de l’histoire d’un enfant dont l’esprit (et l’intelligence) était fermé et qui, après avoir prié la Vierge, le vit s’ouvrir jusqu’à devenir clerc.
Mosaïque de Torcello de la fin du XIème siècle
Vloberg rapporte aussi le symbolisme ténu de la Porte dans une miniature des Homélies du moine Jacques de Kokkinobaphos, à partir d’un manuscrit de la Bibliothèque nationale de France (Manuscrit grec 1208) où la petite sainte Vierge est assise sur les genoux d’Anne en face de David qui déroule un volumen où est inscrit en grec ce qui se traduit en latin « Haec Porta Domini, justi intrabunt in eam » (« Voici la Porte du Seigneur par laquelle les justes entreront »)
Jean Dmascène dans la Légende dorée déjà, parle de l’ouverture des Portes du Ciel à la Vierge. La formule « Porta caeli » ou « Janua Caeli » va se diffuser dans les « Litanies de la Vierge » ici sur un vitrail de 1540 attribué à Romain Buron à Conches-sur-Ouche ou bien sur une autre gravure dont nous n’avons pas trouvé l’origine.
Homélies du moine Jacques de Kokkinobaphos
Notons que l'icône Panagia Portaitissa (vénérée sous le nom de Marie Porte du Ciel) du mont Athos ne représente pas une porte mais elle est placée au-dessus d’une porte qu’elle protège
Vitrail de 1540 attribué à Romain Buron à Conches-sur-Ouche
Le deuxième tableau se trouve au musée Granet à Aix-en-Provence et a été peint par le Maître de Flémalle (Robert Campin probablement). Il représente la Vierge Marie, avec son Fils en nourrisson bien vivant, assise sur un lourd fauteuil dont les accoudoirs sont ornés, à gauche, par la Synagogue et, à droite, par l’Église. Ce fauteuil flotte au-dessus d’une ville (Tournai ?) et, plus bas, on trouve saint Pierre tiaré comme un pape avec, à ses genoux, le moine augustin donateur. A sa droite, saint Augustin, évêque d’Hippone, est absorbé par ses lectures. Le tableau est daté, selon certains, de 1430 c'est-à-dire la fin du pontificat de Martin V (1417-1431) qui est le premier pape romain reconnu après le Grand Schisme d’Occident durant lequel 2 voire 3 papes contemporains ont rivalisé. L’autre date avancée est celle de 1440: le pape est, alors, Eugène IV (1431-1447) qui ne reconnaît pas le décret (en 1439) du Concile de Bâle-Ferrare-Florence en faveur de la doctrine de l’Immaculée Conception. A quel personnage de l’Église se voue ce moine rattaché à saint Augustin (inventeur du péché originel pour toute l’humanité hormis le Christ) entre un pape qui dresse ses clefs en direction de la Vierge qui le domine et rappelle que la Synagogue n’a pas ouvert le livre? En 1440, il devait être fidèle au pape Eugène IV mais avec Sixte IV (le pape qui admet que la Vierge est née, comme le Christ, sans être marquée par le péché originel) en 1471, sa foi serait ébranlée pour autant qu’elle ne le soit pas déjà.
Vierge dite de Dom Rupert du XIIème siècle (musée archéologique de Liège) La remise des clefs à saint Pierre: Carlo Crivelli '1490) Icône Panagia Portaitissa du Mont Athos
L’espace fermé chez Ézéchiel peut aussi figurer l’espace marial verrouillé, muré et scellé (« claustra, septum, signaculum » selon les termes rappelés par Daniel Russo) Pierre le Mangeur (dont nous avons vu qu’il aimait les mots) formule la fonction de réouverture de la porte de Marie dans la formule suivante : « Porta salutis, ave, perquam patet exitus, ave Venit ab Eva ve, ve quia tollit Ave » (Porte du salut, auquel tu donnes accès, salut. D’Ève est venue la syllabe maudite, le ve que rachète ton Ave ) Sur la mosaïque de Torcello de la fin du XIème siècle, au registre inférieur, la Vierge théotokos (Mère de Dieu) nimbée se présente, avec les mains levées, entre une porte gardée par un chérubin et dont saint Pierre porte les clefs et Abraham du sein duquel sortent les élus.
Les figurations de la Vierge aux clefs
Dans des textes de prières et d’hymnes, il est question de la clef de la Vierge lorsqu’elle n’est pas désignée elle-même comme une clef. Dans la prose Languentibus pour les trépassés, elle est appelée « Clef de David » destinée à libérer les captifs de leur prison de feu: « Clavis David quae coelum aperis Nunc beata succcure miseris Qui tormentis premuntur asperis Educ eso de domo carceris O Maria » Selon Vloberg, on donne à la Vierge le nom de « Clavigère » ou Porte-clés comme dans l’Oratio devota attribuée à saint Bernard « Summa summi tu Mater Filii Clavem nostri tenens auxilii » Jean Gerson l’appellerait « Clavigère des celliers du Roi de paix »
[Ce terme de « claviger » lorsqu’il est référé à « clava », la massue, est un épithète associé à Hercule et lorsqu’il est référé à « clavis », la clef, est un attribut de Janus, gardien des portes et aussi à Cupidon dans sa fonction d’ouverture des cœurs. On le trouve aussi associé à Hécate qui disposait de la clef des enfers]
Deux tableaux (au moins) impliquent la Vierge dans le maniement des clefs même si elle ne les tient pas directement en main. Le premier a été réalisé en 1490 par Carlo Crivelli et se trouve dans un musée de Berlin: quelle charge pour le petit Bonhomme (aidée par les doigts agiles de sa Mère) pour remettre ces immenses clefs à un vieux saint Pierre bougon (dans la traditio clavium) !
La Vierge à l'Enfant entre saint Pierre et saint Augustin, avec le donateur par le Maître de Flémalle (Robert Campin?)
Il va s’en dire que nous n’avons pas trouvé d’autres vitraux dans l’Aube avec des vierges clavigères et il est temps d’essayer de les interpréter.
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